Séminaire mensuel / Monthly seminar : EPHE Section des Sciences historiques et philologiques & SCRIPTA-PSL History and Practices of Writing
Paris (France)

2017-2018 RÉSUMÉS / ABSTRACTS

Le lundi 11 juin 2018

Barbara Bisetto

Forms of yanyi 演義("elaboration of the meaning") in Chinese premodern literature and their translative dimension (14th-15th c.)

ABSTRACT - The category label ‘yanyi’ (lit. elaboration of the meaning) enjoyed a remarkable long and versatile use in literature from the late medieval to the premodern period. It was a recurrent term in the title of commentaries to different religious, philosophical, medical, educational and poetic works dating from the eight century onward and written in the literary language; in the sixteenth and seventeenth centuries it became the keyword of a rich and heterogeneous tradition of narrative texts written in the vernacular language and based on historical and pseudo-historical accounts; while at the end of the nineteenth century it gave the title to one of the first newspaper in vernacular language in the history of Chinese press, the Yanyi baihua bao([Popular] Renditions Vernacular Newspaper, founded in 1897).  

Through the analysis of some significant textual examples, in this talk I will examine the conceptualization of yanyiin its formative period, particularly in relation to the social and communicative function of the texts and the linguistic configuration. As I will propose in my talk, the variety of forms associated to yanyi, in particular from the XIV century to the XVII century, can arguably be considered the outward effect of the dynamics of a common deeper process of textual transferinforming different but contiguous, and sometimes overlapping, metaliterary practices such as commentary, translation, rewriting and adaptation, meant to allow new kind of readings and the transmission of texts and knowledge to new contexts of reading.

Du lü yanyi 杜律演義

 

Le lundi 14 mai 2018

 Ross King

“Ditching ‘Diglossia’: Describing Ecologies of the Spoken and Inscribed in Pre-modern Korea”

ABSTRACT - In this talk I critique previous research about the relationship between speech and writing in East Asia in general, and in Korea in particular, with a view to some questions of terminology: how to refer to the complex ecology of spoken and written language in pre-20th century Korea, and how to refer to the broader East Asian cultural formation of which Korea was a part. Following the seminal work of Sheldon Pollock on the 'Sanskrit Cosmopolis,' I propose the term 'Sinographic Cosmopolis' for the regions of East Asia that used Literary Sinitic and sinographs, and I also suggest that it is no longer helpful in a pan-sinographospheric context to speak uncritically of "Classical Chinese" or "Chinese characters," especially if we are to give proper credit to the long traditions of "vernacular reading" (訓讀) in the region. Finally, I present arguments suggesting that the term 'diglossia' has little or no utility in discussing ecologies of speech and writing, whether in pre-modern Korea or in the broader Sinographic Cosmopolis.

 訓讀

 

 

Le mercredi 4 avril 2018 

Gilles Authier

« La transcription des langues non-écrites du Caucase de l'Est »

ABSTRACT - Les langues du Caucase de l'Est présentent des traits phonologiques rares et souvent absents des langues qui y ont apporté l’écriture. Bien que la plus adaptée a priori, l’écriture arabe a été écartée d’emblée par le pouvoir soviétique, qui a d’abord choisi un système commun à base latine, puis plusieurs sous-systèmes cyrilliques. Enfin, la littérarisation encore plus récente de langues présentant d’autres traits originaux a requis l’adaptation des systèmes cyrilliques en place, et la transcription scientifique latine de toutes ces langues n’est toujours pas unifiée.

Le bourgeois

 

 

 

Le jeudi 15 mars 2018

Jens Schneider

« Diglossie ou écriture ludique ? Quelques exemples du premier moyen âge germanique »

ABSTRACT - L'empire franc du premier Moyen Âge, marqué notamment par l'image de Charlemagne (†814), a été décrit comme un vaste espace imprégné par le phénomène de multilinguisme. Cette hypothèse peut être contestée mais il y a peu de doute sur le constat de l'existence d'élites plurilingues qui ont contrôlé cet espace. Après quelques remarques préliminaires sur la situation linguistique en Europe jusqu'en l'an mil, un choix de textes rédigés en langue germanique et/ou latine sera présenté. Ces exemples de forme et de contenu très hétérogènes serviront de base pour s'interroger sur leur intérêt ou leur fonction pour les locuteurs et locutrices contemporains ainsi que pour l'historien des textes au XXIe siècle.

Jens_Schneider_1.png 

 

Le lundi 12 février 2018

Philippe Papin

 « Diglossie et digraphie dans le Vietnam classique »

RESUME - Le Vietnam, à l’articulation de l’Asie orientale et de l’Asie du Sud-Est, offre le cas d’une histoire des langues et des écritures qui est d’une passionnante complexité. Au substrat local, disparu mais que les linguistes tentent de reconstituer sous le nom de « proto-viet-muong », se sont ajoutés le chinois classique et son extension démotique au Nord, le sanscrit et le cam au Sud, et puis, au 17e siècle, l’écriture romanisée qui a permis d’enregistrer la prononciation du vietnamien parlé. Cette intervention se propose de dresser le panorama linguistique du Vietnam et d’examiner les rapports entre l’écriture et l’oralité à travers des exemples concrets pris dans le corpus des sources épigraphiques.

DEMOTIQUE VIETNAMIEN

 

 

Le lundi 15 janvier 2018

Anne Rolet

 « L’emblème littéraire dans l'Europe de la Renaissance : jeux et enjeux du polyglottisme »

RESUME - Les recueils d’emblèmes et de devises du XVIe siècle offrent un matériau d’étude passionnant où s’observent de manière privilégiée les usages complexes des langues dans l’Europe de la Renaissance, et en particulier les relations que les langues dites savantes (hébreu, grec, latin) nouent entre elles et avec les langues vernaculaires. À travers quelques exemples significatifs, nous tenterons de montrer que la question de la traduction s’y pose souvent en termes de stratégie littéraire, linguistique, et même économique, mais s’ancre également dans des débats intellectuels et théoriques aux enjeux majeurs. À sa manière, l’emblème réfléchit sur l’origine, la hiérarchie et la « perméabilité » des langues tout en testant la capacité des langues vernaculaires à assimiler la culture antique comme modèle de référence. Le polyglottisme y apparaît également comme une modalité extraordinaire de diffusion et de circulation d’idées politiques, philosophiques, scientifiques et religieuses nouvelles voire subversives. Mais la bi-médialité, en faisant éclater le cadre des genres purement littéraires, oblige à une réflexion plus spécifique sur le langage de l’image plastique, à la fois dans son articulation avec l’image rhétorique, poétique ou allégorique, mais aussi dans son irréductibilité même au textuel, malgré les efforts de ce dernier pour tenter de l’envahir.

Capture_d_ecran_2018_01_08_a_07.15.10.png

 

 

Le jeudi 30 novembre 2017

Thibaut d’Hubert

 « La grammaire par l'écriture: la digraphie arabe-bengali dans les manuscrits de l'est du Bengale »

RESUME - Le domaine linguistique bengali qui recouvre une large partie du nord-est du sous-continent indien s’est développé dans un contexte multilingue. Malgré la diversité linguistique de cette région on observe un développement non-centralisé, mais cependant relativement homogène des pratiques scripturaires. Une manière de définir le domaine culturel bengali consisterait à observer l’espace géographique couvert par l’usage de l’alphabet dit « bengali ». Cet alphabet était quasiment exclusivement utilisé pour écrire à la fois la langue sanskrite et les formes littéraires des langues régionales du XIVe siècle jusqu’au XVIIIe siècle, qui vit l’émergence de nouvelles pratiques scripturaires dans des contextes géographiquement très restreins (à Sylhet et dans le sud-est, à Chittagong et en Arakan). L’usage de l’alphabet bengali pour écrire différentes langues par des auteurs de diverses confessions religieuses ne semble pas avoir occasionné de débats jusqu’au milieu du XVIIe siècle. C’est durant cette période, dans les sud-est du Bengale, que certains auteurs musulmans se virent contraints de justifier leur recours à un alphabet « hindou » (hinduẏānī) pour écrire des textes ayant trait à l’Islam. Ce débat contribua sans doute à l’adoption de l’alphabet arabe dans la région de Chittagong. C’est à travers l’étude de ce corpus de manuscrits datant pour la plupart du XIXe siècle que nous aborderons le sujet du rapport entre grammaire et écriture dans le domaine bengali.

A l’instar des autres langues vernaculaires du nord du sous-continent indien, nous ne disposons d’aucune tradition grammaticale pour l’apprentissage et l’étude de la langue bengali jusqu’à la période coloniale. L’étude des pratiques scripturaires et des méthodes de transcription de la langue vernaculaire nous permet cependant d’inférer la manière dont les copistes concevaient certains aspects de la morphologie et de la phonétique de la langue vernaculaire. La régularité des conventions adoptées varie ostensiblement d’un manuscrit à un autre selon qu’il s’agisse d’un scribe professionnel ou d’un copiste occasionnel. Souvent la connaissance du sanskrit, qui fournissait alors un cadre analytique et pédagogique en l’absence d’une tradition grammaticale propre à la langue vernaculaire, pouvait contribuer à la systématisation du mode de transcription des textes en bengali. Mais certaines pratiques scripturaires associées au sanskrit, telle que l’usage de l’écriture continue, peuvent aussi être vu comme un obstacle à l’émergence d’une conceptualisation grammaticale de la langue vernaculaire.

Bien que circonscrite à une période et un espace géographique limités, la tradition manuscrite que je propose d’étudier fournit une approche radicalement différente de la langue vernaculaire à travers l’usage de l’alphabet et des conventions orthographiques et orthoépiques de l’arabe classique. Après avoir introduit les circonstances dans lesquels certains copistes musulmans de la région de Chittagong ont décidé de se tourner vers la tradition arabe pour transcrire la langue vernaculaire, nous observerons les conséquences de l’adoption de l’alphabet et de certaines conventions orthographiques arabes sur la transcription du bengali. Nous verrons que l’usage de ce système permet de distinguer comment les copistes concevaient la morphologie de la langue vernaculaire en représentant graphiquement le début et la fin de chaque unité lexicale. Le recours à l’alphabet arabe permet également une plus grande précision sur le plan phonologique et pour l’étude de la prosodie – tous les textes dont nous disposons étant versifiés. Mais il serait erroné de voir dans ce système une simple tentative de rationalisation de la transcription de la langue vernaculaire : cette pratique scripturaire comporte également des conventions qui ne peuvent s’expliquer que du point de vue de la langue arabe ou dans le cadre particulier de la digraphie arabe-bengali. L’étude de ce corpus ouvre un nouveau chapitre l’histoire de langue bengali et vient s’ajouter au vaste domaine de la diffusion des pratiques scripturaires arabes dans le monde musulman.

Manuscrit du poème bengali d'Alaol sur l'histoire du prince d'Egypte Sayf al-Mulūk (Dhaka University Library, SA B514)

 

 

Le jeudi 16 novembre 2017

Julien Dufour

 « La poésie yéménite en moyen arabe, ou comment changer de langue pour relire un héritage »

RESUME - La langue standard dont le monde arabo-islamique s’est très rapidement dotée a d’emblée été normée d’une façon telle que son acquisition représentait une difficulté pour la plupart des locuteurs arabophones. Produit d’une élaboration mais conçue comme perfection originelle, cette clé de voûte sociolinguistique a, sans doute depuis le départ, laissé un vaste champ libre non seulement à des arabes parlés extrêmement divers mais également à des registres écrits non standard (voire pré-standard), qui se sont de fait retrouvés dans une situation médiane entre ce qu’on nomme aujourd’hui les arabes « dialectaux » et l’arabe « classique », et qui on tiré parti de cette position. C’est ce qu’on a coutume d’appeler le moyen arabe.

Le Yémen, en particulier rural, pratique abondamment des poésies de tradition orale dont la langue, sans être pour autant identique à celle de la parole non poétique, peut être raisonnablement qualifiée de « dialectale ». On n’en possède aucun document écrit avant le XXe siècle. De la poésie en arabe « classique » canonique est par ailleurs attestée dans les milieux sociaux dominants à toutes époques. Mais à partir du XIIIe siècle, notre documentation commence à révéler une poésie qu’on doit bien qualifier de « moyen arabe ». Elle est pratiquée plutôt en milieu citadin et suppose une familiarité avec l’héritage littéraire classique, auquel elle puise abondamment thèmes, topos, lexique, formes et diverses structures linguistiques. Elle opère cependant une nette rupture avec ce modèle aux niveaux métrique et morphologique, basculant à cet égard du côté de la langue parlée. C’est la poésie qu’on nomme aujourd’hui ḥumaynī.

L’espace de liberté créé par la non-observance de la norme du style élevé en ḥumaynī a été, selon les époques et les milieux, employé à des fins diverses. Il a en particulier servi aux confréries soufies, surtout autour du XVe siècle, à produire une poésie mystique capable de tout accueillir du vocabulaire coranique dans un cadre lyrique traditionnel mais résolument accessible à tous, refusant les dorures de la grammaire classique et ses effets de caste. Mais cette poétique nouvelle, une fois consacrée par l’usage et devenue le langage lyrique commun en milieu citadin, a pu à son tour servir de base, surtout au XVIIIe siècle, à une littérature savante de pastiches burlesques, souvent grossiers, dans une langue puisant de façon ostentatoire à l’arabe parlé.

 Manuscrit (XVIIe-XVIIIe s.?) contenant une sélection de poèmes de Mûsâ b. Yahyâ Bahrân (m. 1526, Yémen)

 

Online user: 1