Séminaire mensuel / Monthly seminar : EPHE Section des Sciences historiques et philologiques & SCRIPTA-PSL History and Practices of Writing
Paris (France)

2016-2017 RÉSUMÉS / ABSTRACTS

 

Le jeudi 11 mai 2017

Imre Galambos

 « Manuscripts of Chinese educational texts among China’s north-western neighbours »

ABSTRACT - With the spread of Buddhism in East and Central Asia, the region developed a cultural and literary tradition, parts of which transcended political and linguistic boundaries. Within this common heritage the Chinese influence was particularly strong, and Chinese Buddhist literature commonly circulated beyond the frontier. Although most of this shared culture was Buddhist in content, there were also many other types of texts that found their way across the borders, including the classics, histories, dictionaries, military treatises or medical literature. One of the most interesting types of texts in this context are primers and other educational texts, which had typically been compiled in their original environment for the sake of teaching literacy skills and conveying basic cultural knowledge to children living in China proper. Some merely consisted of lists of characters so that children would learn how to write the most common ones, others also included didactic knowledge designed to educate in fundamental cultural values. Ironically, the earliest surviving copies of many of these texts—and, in fact, at times the only copies—come from sites that once belonged to China’s neighbours. Of these Korea and especially Japan are probably the riches sources for such material. Yet in this paper I am primarily interested in manuscripts preserved beyond the north-western frontier, most importantly among the Uighurs, Tibetan and Tanguts. In these cultures Chinese primers circulated both in their original language and in translation, which means that even decidedly culture-specific information could be used for teaching literacy skills in another language. Taken together, the rich body of Chinese educational material preserved in Central Asian languages demonstrates the enormous prestige of Chinese written culture along the Silk Road.

 PastedGraphic_6.png   PastedGraphic_8.png

 

 

Le jeudi 27 avril 2017

Rainier Lanselle

« Diglossie, réécriture et création littéraire dans la Chine prémoderne  »

Résumé - Au cours du deuxième millénaire de l’empire, la production écrite en Chine a été marquée par une claire situation de diglossie. A côté d’une forme classique de la langue, relativement stable, référée à des modèles anciens et destinée à des emplois qui peuvent globalement être qualifiée d’« élevés », se sont développé des formes vernaculaires de l’écrit. Ces deux formes de la langue écrite sont clairement différenciées : par la syntaxe, le lexique, les usages. On sait que le chinois vernaculaire a été le support des littératures d’imagination, tels que roman, conte, théâtre. Mais comment ? La création littéraire, dans ces domaines, a massivement procédé d’opérations de recyclage de sources antérieures, avec une tendance constante à un basculement du domaine de la langue classique vers le domaine de la langue vernaculaire. On peut même dire que ces littératures sont nées d’un tel phénomène de translation. Un travail philologique minutieux (par exemple sur les contes du genre huaben 話本, au XVIIe siècle) permet de mettre en lumière la grande variété des techniques employées par les auteurs pour réécrire les sources anciennes à destination de nouveau publics : citation, commentaire, traduction intralinguale, reformulation, paraphrase, amplification... — techniques qui se combinent à des stratégies narratives complexes, jouant sans cesse de la tension entre formes classique et vulgaire de la langue. S’agit-il nécessairement d’un rapport entre versions « élevées » et versions « basses » des mêmes thèmes ou récits ? Loin s’en faut. Si des générations d’auteurs ont consenti, avec toujours une conscience aiguë des effets de langue, un tel effort de réécriture, c’est avant tout parce que, comme toujours, la réécriture permet de profonds effets de resémantisation. On la retrouve dans la manière de faire « parler » les textes, de servir un discours ou de changer la destinée d'un récit, de s’adresser à de nouveaux publics, ou bien encore dans des enjeux de transmission du savoir.

 ”Des origines du roman” Préface aux ”Bavardages du Vieillard ivre” (Zuiweng tanlu, XIIIe s.)

”Des origines du roman” - 2e Préface aux ”Bavardages du Vieillard ivre” (Zuiweng tanlu 醉翁談錄, XIIIe s.)

 

  

Le jeudi 23 mars 2017

Pascal Vernus

« Diglossie et transmission du savoir dans l’Égypte pharaonique »

Résumé - Ce que recouvre le terme « diglossie » a considérablement évolué au fur et à mesure que la sociolinguistique s'efforçait d'en inventorier, d'en approfondir et d'en préciser les applications. S'agissant de l'égyptien ancien, je ne saurais prendre en compte toute la problématique attachée au terme « diglossie » dans la mesure où elle est avant tout tributaire de situations contemporaines et mettant en jeu des langues vivantes. En particulier, je m'en tiendrai à la restriction originellement impliquée dans ce terme par ceux qui furent les premiers à le mettre en oeuvre, à savoir la co-existence dans une même société de deux états de langue génétiquement liés – et, bien entendu, fonctionnellement différenciés – comme dans les cas de l'arabe littéral et de l'arabe dialectal, de la demotiki et de la kataveroussa, du latin et du français, etc.

Certes, l'extension postérieure et désormais prédominante du terme « diglossie » à la co-existence de deux états de langue sans apparentement ne le rend pas impropre à caractériser certaines situations linguistiques dans l'Égypte pharaonique. Par exemple, n' il y a-t-il pas eu quelque chose de diglossique – au sens récent – dans la culture de ces scribes du Nouvel Empire, attachés à l'armée et à la correspondance du pharaon, et à qui s'imposait la maîtrise des langues sémitiques, en particulier de l'akkadien dans la gestion des relations extérieures ? Plus encore, lorsque l'Égypte passa sous la férule de souverains grecs, puis romains, la nécessité de pratiquer le grec suscita manifestement des situations diglossiques dans l'élite. Mais je ne traiterai pas de ce cas parce qu'il est si complexe qu'il mérite une étude particulière, ni du précédent parce qu'il est, au contraire, trop marginal.

En fait, l'Égypte pharaonique apporte à la problématique de la diglossie des éléments appréciables à travers le statut prestigieux qu'elle a accordé aux états de langue les plus anciens, véhiculés par les textes, textes « littéraires » – sit venia verbo –, mais aussi et surtout par les textes « religieux » ou impliquant une vision religieuse. Je parlerais volontiers d'obsolescence positive, par référence ironique à l'obsolescence programmée.

Les textes religieux, ou plus exactement les textes porteurs d'un savoir, sont censés procéder de l'âge d'or des temps primordiaux et refléter la parole des dieux, et, en dernière instance, la parole du démiurge solaire. La vertu intrinsèque à cette parole – porteuse de plénitude parce qu'encore préservée de la Depravation der Geschichte – est renforcée par sa fixation originelle en hiéroglyphes, qui permettent de saisir l'essence des choses, et par leurs sons, et par leurs images. Les textes anciens sont donc pourvus d'une auctoritas suprême, gage d'une efficacité a priori insurpassable. Ils sont jugés pertinents et dignes d'utilisation quelle que soit l'époque, soit en eux-mêmes, soit démembrés, remembrés, réduits à des citation, etc. De là leur transmission continuelle tout au long de la civilisation pharaonique, laquelle fleurit non seulement durant l'état pharaonique (circa 3000-330 avant J.-C.), mais encore durant les périodes ptolémaïque et romaine (circa 330 avant J.-C. - 392 après J.-C.). Par exemple, une formule contre les serpents et les scorpions, gravé dans la pyramide du pharaon Ounas de la cinquième dynastie (circa 2350-2321 avant J.C.), est encore utilisée comme protection de la maison d'un prêtre au troisième ou deuxième siècle avant J.C., soit plus de deux millénaires après.

Il y a plus. Ces anciens textes étaient aussi utilisés indirectement en tant que modèles et en tant que répertoires phraséologiques pour composer des nouveaux textes relatant des situations contemporaines, que soit dans les monuments de l'idéologie royales ou dans les autobiographies des particuliers.

A priori, les textes anciens transmis en vertu de l'obsolescence positive mettaient en oeuvre des registres de langage différents de la langue vernaculaire, et axiologiquement plus prestigieux, l'impératif de distinction (au sens de Bourdieu) prévalant évidemment puisqu'ils étaient censés véhiculer ou reproduire la langue des temps primordiaux. Cet écart fondamental ne cessa de grandir avec l'inéluctable évolution de l'égyptien, et à une certaine période –probablement au cours l'Époque Ramesside (XIIe-XIe siècle avant J.-C.) –l'Égyptien de la Première phase (Ancien et le Moyen Égyptien) devint difficilement accessible à partir de la simple maîtrise de la langue standard (Égyptien de la seconde phase). Dès lors, le passage de l'un à l'autre n'était plus affaire de changement de registre, mais de changement d'état de langue: le « code switching » se manifestait comme « stage switching » et non plus comme simple « register switching ».

D'où ces textes en Égyptien de la Première Phase (ou mimétique) avec une traduction en Égyptien de la Seconde Phase sur la même ligne, ou une traduction juxtalinéaire, ou encore une traduction à tout le moins associée dans la même unité documentaire. D'où ces exercices destinés à savoir passer de l'un à l'autre. D'où ces gloses supralinéaires éclairant le sens ou la prononciation d'un lemme. On assiste alors à un phénomène de diglossie savante. La pratique exhaustive du culte et de la science sacerdotale requiert désormais la maîtrise des anciens états de langue, considérés globalement comme un état de langue autonome, et axiologiquement prestigieux par rapport à la langue contemporaine. Elle est nécessaire pour assurer la transmission, la révision et l'utilisation critique –modifications, modernisations, adaptations – des textes anciens qui représentent cet état de langue autonome (« égyptien de tradition reproductif »).

Bien plus, idéalement, les nouveaux textes que suscitent inéluctablement les pratiques du culte et de la science sacerdotale – rituels, hymnes, sommes théologiques – et que suscitent aussi non moins inéluctablement les res gestae du pharaon et des particuliers – idéologie royale, autobiographies – doivent être écrits dans une langue prenant pour modèle ces états anciens afin d'avoir le plus de chance d'être efficaces: c'est l'« égyptien de tradition productif ».

L'exigence est particulièrement impérieuse s'agissant des monuments visant à la sacralisation, c'est-à-dire à qualifier ce qu'ils relatent ou commémorent comme accrétion pertinente de la création, digne de participer du déploiement de l'in partibus (« jachères du démiurge »), sont censés gagner en efficacité, si leurs textes, ou à tout le moins une partie de leurs textes, sont rédigés en « égyptien de tradition productif ». Exemple célèbre: la pierre de Rosette, dans laquelle la version en écriture hiéroglyphique et en langue mimétique des états anciens, variété prestigieuse, n'a d'autre justification que d'aider à la fixation performative sub specie aeternitatis, d'un décret au bénéfice de Ptolémée V, alors que la version en démotique, variété standard, vise à en exploiter la grande diffusion pour faire connaître le texte au plus grand nombre, de conserve avec la version grecque. L'opposition "égyptien de tradition (productif)" versus démotique est une opposition fonctionnelle, ce qui est le propre de la diglossie. Le démotique s'adresse à la contingence du siècle ; l'égyptien de tradition à l'ordre de la création.

Rosetta_Stone_2_.jpg

 

 

Le jeudi 2 février 2017

Jan Houben

 « La diglossie et le plurilinguisme en Inde ancienne comme en témoignent les grammairiens du sanskrit »

Résumé - Dans les plus anciennes réflexions sur le sanskrit, nous trouvons que la langue a été conceptualisée comme daivī vāk, une langue sacrée ou divine. Pourtant, dans la pratique, le sanskrit a fonctionné au travers des siècles et des millénaires comme une lingua franca, surtout quand, vers le milieu du premier millénaire, les bouddhistes et les jainas commencèrent à utiliser le sanskrit pour les discussions, les polémiques et les traités religieux, philosophiques et scientifiques, et à conceptualiser le sanskrit dans cette perspective. Les deux approches  – deux perspectives opposées sur la même situation de diglossie -- sont discutées et analysées dans l’œuvre du grammairien-philosophe Bharthari (ca. 450 à 510 notre ère). Le sanskrit est la première et pour très longtemps la seule langue dans le monde accessible par une grammaire détaillée et fiable (Pāṇini, IVe siècle avant notre ère, Candra, Ve siècle) et relativement facile (Kaumāralāta et Kātantra, IVe - début Ve), et son étude jusqu’à la maîtrise presque totale devient une entreprise réalisable en quelques mois. La grammaire du sanskrit lui donne ainsi une accessibilité interlinguale (des moines bouddhistes de Chine qui apprennent le sanskrit en route vers l’Inde) et intralinguale, ce qui a rendu possible une énorme expansion sociolinguistique et géographique du sanskrit depuis au moins le IVe siècle de notre ère. La technique de la dérivation de mots dans la grammaire de Pāṇini, par contre, placée dans son contexte historique du IVe siècle avant notre ère, montre que cette grammaire visait plutôt le transfert exclusivement intralingual vers la variété de statut élevé à partir de nombreuses variétés de sanskrit et de “moyen-indien” en usage actif à l’époque.

Litérature :

Ideology and Status of Sanskrit: Contributions to the History of the Sanskrit Language, sous la dir. de Jan E.M. Houben. (Brill’s Indological Library, vol. 13.) Leiden: E.J. Brill, 1996. (Nouvelle édition avec nouvelle préface: New Delhi: Motilal Banarsidass, 2012)

Représentation de “Pāṇini” sur un timbre indien, 2004

Représentation de “Pāṇini” sur un timbre indien, 2004 

 

Le jeudi 12 janvier 2017 

Cale Johnson

 « Citationality and the Construction of the Interlingual in Classical Sumerian Scholastic Dialogue »

ABSTRACT - The Old Babylonian lexical list has long represented, in emblematic form, the central activity of the Mesopotamian Tablet House, as would-be littérateurs worked their way up from individual wedges, to signs, words and turns of phrase. It is wrong, however, to see the recopying of lexical lists as the singular goal of the Tablet House; instead, scholastic debate, taking the memorized lists as their shared common ground, was the height of scholastic practice in the Old Babylonian period. The most important example of scholastic dialogue in the Old Babylonian period is probably to be found in a dialogue known as “The Class Reunion” (aka “Two Scribes” or “Streit zweier Schulabsolventen”), where two interlocutors each seek to best their opponent through their intimate knowledge of the lexical list tradition. The central preoccupation of this form of scholasticism is the assemblage of intra- and inter-textual ciations as well as occasional allusions to Akkadian lemmata that do not explicitly appear in the text itself. And it is here that we see the real intellectual work of recontextualizing and, thereby, motivating ordinary semantic equations between Sumerian and Akkadian within the broader context of Old Babylonian scholasticism as a whole.

 

HS 1536 lines 86-90

 

Le jeudi 1er décembre 2016

Özlem Berk Albachten

 « Diglossia, language modernization and planning: intralingual (re)translations in the Turkish literary system »

ABSTRACT - This talk will start with a historical account of the language situation in the Ottoman-Turkish system and the language modernization and planning of the 1920s and 1930s. Special emphasis will be given to the Turkish Language Reform of 1928, which gave way to a process of language purification and the translation of  “older” texts into a more “modern” language.

The second part of the talk will focus on intralingual translations of Turkish literary works and discuss the textual and paratextual findings. Furthermore, by focusing on the paratexts (Genette, 1997), the authorial and editorial intentions behind these translations will be discussed. The use of the different translational concepts and the ways in which translation, faithfulness, originality/authenticity, and authorship are conceptualized will especially be problematized.

The talk will conclude by discussing why research in intralingual translation is important and relevant from a Translation Studies point-of-view, not only for enlarging the boundaries of Translation Studies (Tymoczko 2007), but also to better map translational phenomena in cultures such as Turkey.

© Özlem Albachten

  

 

 

Online user: 1